“ L'amour ne se crie pas, il se prouve.” Simone Veil
Dans le couloir du premier étage, une porte s'ouvre, laissant apparaître un homme usé. Face à lui, une jeune fille se tient debout. Elle a les yeux secs, le cœur humide et les cheveux mouillés. Elle ne dit rien. Le plancher du palier grince, le toit de tôle résonne sous les lourdes gouttes et le minuteur du palier trotte en faisant des petits sons mécaniques. Même lorsque les hommes n’ont plus les mots, la vie n’est pas faite de silence. L’homme a une respiration profonde. Elle entre dans l'appartement.
Lorsqu'elle avait 10 ans, il était certain d'agir comme il le voulait. Incertain de bien agir, il est parti. C’était un homme trop à l'étroit dans de si petits bras. Chaque petite attention l’étouffait. Lui rêvait de grand air, d’infini et d’espaces. C’est ainsi que sans larme, ni haine, ni violence, il partit. Aujourd'hui, il ne quitte plus son appartement. Le monde est trop vaste. Assise sur le canapé, la jeune fille le regarde se déplacer. Encore aujourd'hui, l'image qu'elle a de lui la protège de ses peurs. Elle se sent bête de pleurer. Mais un père sait que le cœur indompté est un dictateur et que le corps d’une enfant est un champ de bataille. Un père sait que lorsque la raison est assiégée, les certitudes brûlent. Du moins, il était ce genre de père. A cet instant, dans son appartement, il savait qu’elle portait le monde une dernière nuit. Enfant, lorsqu'elle était une princesse captive, il grimpait vaillamment jusqu’à sa chambre en contant son ascension. Puis il descendait les 16 marches de leur escalier, fier, sa fille agrippée sur son dos. Le goûter était servi.
Il la portera encore une fois.
Ce soir tout est à l'arrêt. Un père remonte une couverture sur le corps recroquevillé de son enfant. Puis, l'épaule contre la vitre, il observe le ciel tel un dormeur éveillé. Un chien aboie. La voute céleste laisse tomber son drapé bleu. Les constellations apparaissent une à une. Il n'y voit aucun signe. Il ne croit pas aux présages. Son téléphone est posé sur la table de la cuisine. Dernier message reçu : « Je suis prête. Maman n'est pas au courant ».
La toile sur le mur est imposante. Une reproduction, sûrement proche de la réalité, d’un homme couronné de lierre et d’une femme aux joues roses. Étrangement, c'est le seul couple présent dans la pièce. Les autres femmes, dans cette salle d'attente, sont seules ou accompagnées par défaut. Au musée cette œuvre représente une étreinte amoureuse. Il symbolise le désir et l’abandon de deux amants sortis d'un rêve et drapés de leurs étoffes dorées sur un tapis d'Eden. Mais dans cette salle, le désir est absent. « Le Baiser » est funeste. Attendant que l’on vienne les chercher, l’homme et la jeune fille observent l’œuvre. Des longs doigts se resserrent sur une gorge fragile. L’étreinte vide la femme aux lèvres roses de sa substance. Elle tombe à genoux et s’agrippe. De sa robe coule un parterre fertile et abondant. Enfin, le vampire disparaîtra en la laissant seule, dans les débris d’une illusion. Elle se recroquevillera sous la poussière d'or et devra faire le choix le plus important de sa vie.
Une sage-femme les appelle. Le formulaire est rose.
Monsieur Chou
Le Billet des papas est une initiative de la Maison de la famille de la ville de Reims.
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