“La résilience, c'est l'art de naviguer dans les torrents.” Boris Cyrulnik
Un petit chevalier traverse le salon : couronne en papier sur la tête, cape rouge floquée d’un lion rugissant et épée en bois à la main. J’aime t’observer à cheval entre deux mondes. Tu t’approches de moi en faisant mine de m’attaquer. J’entre dans la peau d’un dragon et m’en amuse. Ta sœur viens nous rejoindre et je m’approche d’elle à pas lourds. Brusquement, un coup d’épée part plus fort que les autres. Je suis touché. Une douleur me lance, tu ne joues plus. Pourquoi as-tu fait ça ? Tu me réponds que c’est pour vous protéger du monstre. Mais petit chevalier, il n’y a pas de monstre dans cette maison…
La journée se termine déjà. L’ombre de notre maison recouvre petit à petit le jardin. Le repas est prêt. Il est temps de te laver les mains. Ton corps montre des impatiences. Visiblement tu es fatigué, moi aussi. Tu n’arrives pas à tenir en place, ni à entendre mes consignes. Je les répète : Il est temps de te laver les mains chevalier, et de ranger cette épée. Tu me dis que tu as faim. Je réponds que nous avons tous faim, que nous voulons tous passer à table, et que tu ne facilites pas les choses. Le ton n’est déjà plus le même. « Vas à table maintenant » ! Chacun dans sa bulle, absorbé par nos propres besoins, hors de notre zone de confort, nous ne voyons pas que tapie dans l’ombre, quelque chose se réveille.
Les pâtes ont quelque chose de réconfortant. Elles font des torsades sous la crème. Je rapproche ta chaise et m’assied. Puis, me relève une seconde après pour essuyer l’eau que tu viens de renverser. Je souffle, mon regard se durcit. La fourchette à la main, le bras tendu, tu m’observes. Que se passe-t-il à cet instant en toi ? A quoi ton corps réagit ? Pressens-tu quelque chose ? Je te demande une dernière fois de poser cette fourchette. Ce n’est plus l’heure de jouer. Ma respiration s’accélère, et mes muscles se contractent... Dans un bruit métallique, tu me jettes un "non" déterminé. Tes couverts sont au sol. Fatigué, rejeté, désavoué, je hurle. Je balaye d’un revers de la main toutes formes de nuances. Elles s’écrasent contre les murs. « Ne restes pas près de moi, petit Chevalier ». Je ne te veux aucun mal, mais ce que je veux en cet instant ne compte déjà plus. Il est trop tard pour la retenue, et trop tôt pour les regrets. Je frappe la chaise à terre, le bois explose et déjà le silence s’installe. Vous êtes blottis, tétanisés, incapable de pleurer. Je t’observe. Ton regard cherche une fenêtre afin de ne pas ancrer ce souvenir. Cet effort et vain, une cicatrice de plus viens de s’ajouter à notre histoire. Tu avais raison, il y a bien un monstre dans cette maison… Je t’aime.
Les aiguilles de l’horloge se chevauchent, il est tard. J’éteins la lumière de la cuisine et monte les escaliers. Vous dormez. Vous êtes beaux. J’entre dans ta chambre et te regarde petit Chevalier. Tu as à l’air apaisé. Comment fais-tu ? Adossé au mur, je me sens vide. J’aspire à faire le bien et pourtant, c’est le mal que j’ai fait, une fois de plus. Pourquoi est-ce si difficile ? Pour moi c’est un échec, et pourtant je sais que demain tu te lèveras avec un grand sourire. Ton énergie sera intacte. Tu viendras dans mon lit un livre à la main. Du haut de tes 4 ans, en pyjama, tu m’apprendras la résilience. Tu seras à mes côtés, prêt à reconstruire ce qui a été détruit. Petit architecte du Bonheur.
Monsieur Chou
Le Billet des papas est une initiative de la Maison de la famille de la ville de Reims.
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