Un navire de papier

Je ne fais rien de mal durant ces heures. Je ne fais rien de mal, où loin de vous je me rappelle à mes envies d’ailleurs. Je ne fais rien de mal durant ces secondes, où près de vous je suis en paix dans un autre monde. Assis sur une feuille blanche, je fais des plis. C’est un navire de papier qui prends le large. Il frappe mes pensées et vous traverse. Il m’emporte au plus près de moi. Croyez moi, on ne s’exile pas de là où l’on se trouve déjà. Ce vaisseau me dépose sur un silence fragile, dans un décor fait des bribes de mes passés : des visages, des lieux, des pénombres. Face à moi, apparaît la photographie d’un souvenir qui n’existe pas. Celui où je me vois dans la peau d’un aventurier. Celui où les mains dans les poches, je traverse les quartiers, emprunte des passages trop étroits et glisse entre les doigts du quotidien. Celui où je ne suis responsable que de moi.

Je vous aime autant que possible. Je vous aime.

Je suis un homme dont « les sirènes du goût d’avant » lui laissent un goût amer. Et lorsque parfois je me sens con dans mon costume de père de famille, je jette un biberon à la mer. Je m’évade entre les plis d’un bateau qui n’a plus d’équipage. Peu à peu, tous ces amis que j’ai quitté un jour heureux se sont effacés. Aujourd’hui, un livret entre les mains, je vois nos vies encrées. J’ai peur. Laisses moi le poser un instant. Laisses moi sauter entre les pages. Laisses moi noircir encore un peu mais nuits blanches. Je vous aime autant que possible et songe à partir encore un peu : le temps d’une seconde, d’une minute ou d’une heure ? Je vous aime. Je vous aime autant que possible, mais ma solitude est une orig’amie’ de longue date. Ma tendre solitude qui, le jour de mes 18 ans, a su remplacer le silence de mon père et l’absence de ma mère.

Je vous aime autant que possible. Je vous aime.