Mon enfant qui n’en fait qu’à son Être
Tous les enfants, avant leur naissance, sont déjà bien plus Sages que nous. Ils n’ont ni corps, ni cerveau. Cependant, leurs cellules, faites d’autres vies, se souviennent des temps anciens où la Nature et la Culture ne faisaient qu'un. Dans la matrice maternelle, les divisions se multiplient, la Vie prend forme et s’enveloppe d’un corps. Elle se forge et se prépare à (re)vivre toute une existence... Durant ces quelques secondes d'éternité, de l’autre côté de la paroi, les Hommes comptent les mois et inventent le temps qui passe. Puis vient le jour, où à travers la peau tendue d’un ventre rond, l’obscurité s’efface. L’autre monde résonne, rayonne et déborde... Le petit corps lutte de toutes ses forces. Il résiste tant qu’il peut avant de s’en remettre à l’inéluctable. Il comprend qu’il ne peut rester là plus longtemps et consent à vivre. Il découvre le mouvement, partout, tout le temps, et les changements incessants. Il s’expose pour la première fois aux températures assourdissantes, aux sons éblouissants et à la lumière qui engourdit. C’est alors que les poumons se déploient, que l’âme pousse son premier cri et que le petit d’Homme oublie.
C’est ce qui arrive à la plupart d’entre nous. En naissant, nous oublions. Mais d’autres gardent dans un coin de leur être une inexplicable sensation "d’infini". Quelque chose d’insondable. Ils grandissent dans un monde cloisonné, un monde fait de morale et de règles qu’ils ne comprennent pas. Mais, ils n’en sont pas coupés pour autant : Ils éprouvent le vivant de milles autres manières.
Ce sont toutes ces idées qui me traversent lorsque je t’observe à travers l’objectif de mon appareil photo. Lorsque tu prends vie dans les bois… Ces histoires, je me les raconte pour combler le vide en moi. Car j’ai beau être ton père, je ne parviens pas à te comprendre. Tu m’es inaccessible. Ce sentiment d’impuissance est terrible. Alors, lorsque le quotidien est trop sombre, je t’emmène avec moi au milieu des arbres. Non pas pour t’abandonner, mais pour te libérer : Toi mon enfant sauvage. Toi mon enfant qui n’en fait qu’à son Être. Toi qui ne tiens pas en place dans cette vie préfabriquée, et qui t’immobilises en observant chaque feuille tomber. Toi qui t’ennuies dans cette cage sans barreau, et qui t’allonge dans l’herbe, durant des heures, à contempler le ciel. Toi qui pousses des cris, frappe les murs mais qui chérit le silence des grandes étendues. Toi qui doutes tant de toi, et qui grimpe aux roches avec confiance et agilité.
Discret, appuyé sur un tronc recouvert de mousse, je fais le point sur ton visage apaisé. La lumière éclaire tes épaules. Tu es assis sur un rocher. Tu souris, tu es beau. Mon index en suspens n’appuiera pas sur le déclencheur. Je te laisse à l’instant présent. Mon œil se détache du viseur, et tout en retenant mon souffle, je me ressource. Je m’imprègne de cette sensation éphémère qui m’enveloppe : celle d’être le père qu’il te faut.
Nous retournons à la voiture et déjà tu t’agites. Je ferme la portière et démarre. Les arbres défilent sous tes yeux et laissent place aux immeubles. Tes pieds tapent contre le fauteuil. De l’autre côté de la vitre, les Hommes comptent les mois et rangent le vivant dans des cages sans barreaux.
David Falguière
Le Billet des papas est une initiative de la Maison de la famille de la ville de Reims.
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