LE BILLET DES PAPAS

« Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d’autre. » Paul Eluard

 

J’observe par la fenêtre un homme monter dans le bus. A cette heure matinale, il part travailler. Ma femme est sous la douche. Le chat n’est pas encore rentré. Et moi … je vais être papa. C’est un grand jour et la rue est déserte. Le sac est dans l’entrée depuis une semaine. Tout est préparé, enfin je crois. Ne pas oublier ce sac. Ne pas oublier de glisser quelques pièces au fond de ma poche. Ne pas oublier ma femme. J’aurai l’air d’un con à la maternité sans monnaie. Je devrais manger quelque chose, mais je n’ai pas faim. Une boisson chaude m’apaiserait certainement, mais je n’ai pas soif. Je crois que je ne suis plus un corps ce matin. D’ailleurs je flotte, mes pieds ne touchent pas le sol et ma tête ne tient plus sur mes épaules. Je n’ai pas la moindre idée de l’heure qu’il est. De toute façon, même si nous arrivions en retard pour cette rencontre, nous serions en retard tous les trois.  Et si j’essayais la pleine conscience ? Assis sur le tapis, je ferme les yeux. Je respire. Guidé par la musique, je suis dans l’instant. Mes épaules sont ouvertes. Ma tête et droite.  Je vais être papa… mince, raté. L’eau de la douche coule encore. Cette femme que j’aime et qui porte la vie se transforme. Toute la mécanique de son corps s’active et moi je suis en chaussettes assis sur un tapis. Ses courbes apparaissent dans l’encadrement de la porte. Le ventre bas, et la tête haute elle avance vers moi et me dit que c’est l’heure. N’ayant pas de montre, je la crois. Ne pas oublier le sac. Le chat arrive. La porte se ferme. Nous partons.

 

Nous sommes à l’hôpital. Cela semble normal, mais pour quelqu’un qui ne se rappelle pas être monté dans sa voiture, c’est une bonne nouvelle. J’ai de la monnaie et ma femme. Petite fierté du mec qui assure. Des visages, des papiers, des couloirs, des pancartes, nous y sommes. Puis, les mêmes pancartes, les mêmes couloirs, les mêmes visages, j’ouvre le coffre pour prendre le sac que j’ai oublié à l’intérieur. A côté de notre dossier, notre projet de naissance, « notre essence » sur papier A4. Tout en avançant, je repense à ces élans du cœur que nous avons lancé dans les airs, et que nous avons vu retomber les uns après les autres sous forme de mots. Je pousse une grande porte verte, mais une main me retient. Un homme me dit que ma femme est dans la salle d’à côté.

 

 Enfin, je te retrouve installée dans un bain chaud. Tu es déjà un peu ailleurs. J’allume une petite enceinte et laisse la musique nous envelopper. Je baisse la lumière en m’installant discrètement dans un coin. Un voile intime tombe lentement sur les mouvements et les ombres de la pièce. Ton corps fait ce qu’il a toujours su faire, tu t’abandonnes à lui. Les derniers liens qui te retenaient près de moi viennent de se défaire. Ta respiration est forte. Je guide tes déplacements en effleurant tes épaules maternelles. Nos regards ne se croisent plus. Tu es maintenant allongée sur le côté dans un coin de la pièce. Une sage-femme a rejoint notre bulle hors du temps. Je lui laisse trouver sa place. La mienne semble être ici, près de toi. D’ici peu tout ira très vite.  Il y aura de l’abandon, du courage, des cris, des efforts, des étreintes, des déclarations, de la fierté,  de la joie, des pleurs, de la tension, de la tendresse, des silences, des souvenirs, une victoire et il y aura surtout du bonheur et rien d’autre.

 

Monsieur Chou

Le Billet des papas est une initiative de la Maison de la famille de la ville de Reims. 

 

Accueil, écoute, infomations, orientations et rencontres collectives, retrouvez toute l'actualité de ce lieu ressource en vous inscrivant à la Newsletter.