LE BILLET DES PAPAS

Comme avant en pas pareil.

 

La fatigue au bord des yeux je m’endors contre toi. Dans ce petit lit de prince qui n’a pas la mesure des rois, je ne sais pas quelle heure il est. Il est simplement ton silence coincé entre deux sanglots. Il est simplement le sommeil qui m’accorde une plage. Je suis coincé, plié en deux, et j’espère que le prochain grain de sable qui tombera dans tes rouages n’éveillera pas tes pleurs. Mes yeux baissent les bras. Je me fais carapace. Ta mère est seule. Je suis seul. Tu dors.

 

Les particules de poussière dansent devant moi. Au seuil de ta chambre, le soleil semble curieux. Il passe un rayon par la fenêtre, puis deux, puis trois. Je me lève prudemment. Mon corps est en miettes, mais j’ai été plus rapide que lui à me lever. Il n’a pas eu le temps d’avoir mal. J’avance vers la cuisine et m’assied sur une chaise face à l’horloge du four. A la vue des bâtonnets rouges, je sais qu’il me reste trente minutes avant ton prochain appel. Je respire profondément et mets de côté cette nouvelle nuit que je n’ai pas eu. Mon regard se pose sur le calendrier du frigo. Une nouvelle journée commence avec derrière elle, ce puzzle nocturne auquel nous jouons tous les trois depuis maintenant 9 mois.

 

J’attends ce jour où tout redeviendra comme avant. Car bientôt tu dormiras et tout redeviendra comme avant… car bientôt tu dormiras... Et tout redeviendra comme...

 

Je sais que c’est faux, que notre vie ne sera plus jamais comme avant, mais il faut bien trouver du réconfort là où il y en a. Et si cet espace qui ressemble à de l’espoir vient se nicher au creux d’un mensonge, je l’accueille les bras grands ouverts. Toi mon illusion, sois la bienvenue dans ma demeure pourvu que tu me dises que je vais bientôt pouvoir dormir. Sois la bienvenue, pourvu que tu me dises que je vais bientôt reprendre une cuite avec les copains. Sois la bienvenue, pourvu que tu me dises qu’il existe d’autres horizons que des contenus de 20 minutes devant lesquels je m’endors. Sois la bienvenue, pourvu que tu me dises ce que j’ai besoin d’entendre pour tenir encore un peu.

 

La vérité est que ta mère et moi nous nous sentons seuls. Non pas que nous le soyons vraiment , mais c’est ainsi que nous le vivons.

 

Ce « comme avant » est impossible. Je le sais. Ce n’est même pas ce dont j’ai envie. Aujourd’hui, il y a toi et c’est très bien comme ça. Je t’aime. Être père c’est accepter de vivre dans l’après sans renoncer à ce qui nous a construit avant. Je sais que cette nouvelle identité qui vibre en moi va faire bouger les lignes. Elle va faire courber mes envies, distordre mes centres d’intérêts et marquer en pointillés mes relations. Certaines vont rester. D’autres vont partir. C’est ainsi que les choses évoluent.

 

Mais je refuse de tout abandonner, de tout sacrifier. Se sacrifier pour le bien des hommes, d’autres l'ont fait il y a des siècles, et cela n’a pas rendu le monde meilleur. Quel serait le message d’un père qui s’oublie totalement ?

 

Quitter la surface des plaisirs et des joies. Fouiller un peu plus loin. Sentir l’odeur de l’invisible. Capter l’essence de mes meilleurs souvenirs. Puis, construire avec toi un « comme avant » en pas pareil. Un « comme avant » qui ressource, qui amuse, qui lâche prise, qui réjouit. Un « comme » avant où je suis à la fois homme, père, ami, amant, mari.

 

Je n’irai peut-être plus jamais en boîte avec cet ami d’enfance. Je ne rentre plus dans cette veste en cuire que j’adorais. Mais je saurai trouver ce temps pour moi. Ce temps qui aura une autre forme, un autre son, une autre couleur mais qui aura su garder la même saveur.

 

C’est l’heure, j’entends tes appels derrière la porte.

 

David

Le Billet des papas est une initiative de la Maison de la famille de la ville de Reims. 

 

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