LE BILLET DES PAPAS

Deux petites cicatrices

 

27, 28, 29 … Tous les points sont reliés. Sur mon passeport ambulatoire, un « poisson chirurgien amnésique » me sourit… Dory. Je pose mon crayon et lève la tête. Dans cette vaste salle d’attente aux murs délavés, je savoure cette apparition en espérant qu’elle ne soit pas prémonitoire. Dans quelques jours, mon corps sera empreint d’un geste irréversible. Deux petites cicatrices s’ajouteront à mon identité individuelle et sociale. Une prise de liberté consciente à travers la modification d’un corps qui m’appartient. Je ne crois pas que cela soit contre-nature…

 

La vasectomie contraceptive. Cette opération, est l’aboutissement naturel d’une année de réflexion, de plusieurs échanges, de deux raisons, et d’un choix. Je ne souhaite plus faire d’enfant. A 30 ans je goûte pleinement aux premières fois de mes trois bambins et grandis à leurs côtés chaque jour. Après des années d’adaptation, j’ai trouvé ma place de père.

 

Il est 7h00 , je suis blotti contre ma chérie, nous attendons devant les portes du service de chirurgie ambulatoire. Le soleil est encore rouge de fatigue. Ouverture des portes, admission, chambre 7, blouse, bracelet, charlotte, sourire. Je laisse ma chérie derrière moi. Le plafond défile sous mes yeux jusqu'à une grande salle. Je patiente car on me l’a demandé, et après tout j’ai le temps. « Une mouette rieuse peut-elle consoler un saule pleureur ? » Cet aphorisme de Sylvain Tesson me revient en tête. Je ne sais pas pourquoi. Il n’y a ni mouette ni arbre dans cette salle d’attente. Il y a juste des fourmis vertes aux pieds multicolores s’activant en tous sens. 

 

Allongé sur un lit, je passe en revue les interrogations d’amis et de proches projetant « les impacts » d’un tel projet sur le long terme :  Et si ton couple se brisait ? Je le réparerai. Et si ce n’était pas possible ? Et si tu devais refaire ta vie plus tard ? Je referai ma vie, stérile. Et si dans une autre vie tu désires un nouvel enfant ? Ne plus faire d’enfants ce n’est pas ne plus en avoir... 

 

Parmi toutes les hypothèses que l’on m’a soumises ces dernières semaines, il y a celles que les inquiets ne m’ont jamais posé : Que penses-tu de vivre avec ta chérie et de voir vos corps vieillir ensemble ? Que penses-tu d’être avec tes enfants et de voir votre modèle familial s’épanouir ? 

 

C’est ce chemin que je choisis.

 

La deuxième raison de ce choix est que nous avons pris le temps, en couple, de nous informer sur les contraceptions possibles. Nous avons posé nos certitudes. Aujourd’hui, je ne veux plus « accompagner » ma chérie. Son corps à fait sa part. Il a eu des hormones contraceptives durant des années, il a porté 3 grossesses, et a enfanté 3 fois. Il a allaité, il a veillé des nuits entières. Il n’a plus rien à prouver et ne doit rien à personne. Laissons-le tranquille. J’assume ma part.

 

Il y a aussi cette autre phrase, frappant au plexus : Mais tu n’es plus un mec si tu fais ça ! La peur, derrière cette affirmation, parle de valeurs et de limites qui ne m’appartiennent pas. La virilité n’est ni la force, ni la puissance, ni le courage, mais l’idée que l’on s’en fait. La masculinité d’apollon au corps affuté, le menton fier et les bourses au vent n’est pas quelque chose que je m'approprie.  Ma virilité est un dosage de Force et d'Amour. Ma virilité est faite de beaux sentiments soutenus par une capacité d'action. Et de ce point de vue, nous sommes tous viriles, hommes et femmes, chacun à notre façon. 

 

Prendre "les couilles" comme l'unique symbole de puissance et de courage c’est se méprendre. Tout par du cœur.

 

L'anesthésiste vient vers moi accompagné de deux fourmis. Le plafond défile à nouveau sous mes yeux. Masque à oxygène, perfusion, musique lointaine. Je m'endors.

 

Monsieur Chou (David Falguière)

Le Billet des papas est une initiative de la Maison de la famille de la ville de Reims. 

 

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